#18 - Focus sur l'impact 40/120 (avec des insiders)
Fin mars sortait l'Impact 40/120, un indice qui vise à valoriser les start-ups / scale-ups à impact les plus prometteuses de l'écosystème. Petite plongée dans les équipes produits des lauréats....
Hello 👋🏼
Il y a deux semaines, à l'occasion de l'événement ChangeNow, la sortie de l’impact 40/120 a été annoncée. Tu en as sans doute entendu parler si tu suis de près l’actu impact, mais je tenais à te proposer une édition spéciale sur ce sujet.
Pourquoi ? J’ai longtemps trépigné du fait que les indices comme Next 40/120 ne valorisait que les millions levés, sans considération de l’impact sociétal. Alors une initiative comme celle-ci, je la salue. Et j’y jette un peu plus qu’un oeil 👀
L’impact 40/120, c'est quoi ?
Derrière cet indice, on retrouve le Mouvement Impact France, association née de la fusion de Tech for Good France et du Mouves. Je t’en ai déjà parlé plusieurs fois, notamment quand je citais Julia Faure (qui en est co-présidente), et je suis plutôt en soutien de leurs activités.
L’indice Impact 40/120 vise à valoriser des entreprises dont la réussite ne tient pas uniquement de leur valorisation financière, mais avant tout de leur engagement sociétal (et surtout de leur impact réel).
Sur le papier, je ne peux qu'applaudir !!
Dans les faits aussi, d'ailleurs, car je connais une bonne partie des lauréats, et il n'y a pas de doutes sur l’action d'entreprises comme iLek, La Fourche, Phoenix ou encore Sencrop, Carbo, Moka.care ou Murphy.
On passe au crible la méthodo
Ok, on trouve l’initiative très chouette et on valide a priori la plupart des noms qui sont présents dans cette liste. Mais dans le détail, on pense quoi de la méthodo ?
Dans le dossier de presse, on trouve assez peu d'infos sur celle-ci, alors je suis allée à la pêche auprès d’Octave Kleynjans (directeur de l’Impact Lab du Mouvement Impact France).
Pour construire cet indice, le Mouvement Impact France s’est basé sur le mapping des startups à impact sorti en novembre dernier, en collaboration avec BPI France Le Hub et France Digitale. Pour rappel, ce mapping recensait 1 142 startups françaises. Parce que les choses évoluent vite, l’équipe derrière l’Impact 40/120 a aussi sollicité des entreprises absentes du mapping mais qui correspondaient à l’ADN de l’indice. Un appel à candidatures public a complété le tableau.
Verdict ?
250 entreprises se sont portées candidates.
Des candidates “très qualifiées” d’après Octave.
A partir de là, les entreprises ont été évaluées sur différents critères pour obtenir une note sur 20. La moitié des points portaient sur l’impact sociétal positif des entreprises, y compris sur la manière dont celui-ci est mesuré et suivi par l’entreprise.
Pour le reste, le jury a analysé des choses assez variées comme les éventuels labels ou statuts (coucou b-corp et le statut d’entreprise à mission), des critères liés au partage de la valeur (exit les boîtes avec des écarts de salaire trop important ou avec une gouvernance opaque), le chiffre d’affaires ou encore la solidité et la scalabilité du modèle économique. Les levées de fonds et les valorisations, à la différence du Next 40/120, n’ont pas été regardées. Un bon point pour le pragmatisme !
Des compromis à faire et des choix à assumer
Evidemment, quand on veut à la fois mettre en avant des entreprises avec un impact réel et être crédible, il faut savoir faire des compromis (pour ne pas laisser de côté des entreprises remarquables) mais aussi renoncer à faire entrer certaines pépites.
Parmi les critères qui ont évolués par rapport à la vision initiale du jury, on trouve le nombre de salariés. Initialement fixé à 20 personnes, celui-ci a été rabaissé à 15 pour permettre à une vingtaine d’entreprises avec des voyants au vert partout ailleurs de faire partie des lauréats.
En revanche, puisqu’il fallait poser une limite, le jury a du se résoudre à ne pas y voir des entreprises comme Yuka, pourtant une belle réussite dans l’écosystème.
Un indice qui n’aurait pas pu exister il y a quelques années
Quand je l’ai questionné sur l’évolution de l’impact sociétal des startups, Octave s’est réjoui :
“On a beaucoup de chance de voir un écosystème qui gagne en maturité : il y a 3/4 ans, il aurait été impossible de faire un impact 40/120 car il n’aurait pas été assez crédible. Aujourd’hui, Il existe des rôles modèles qui ont pu être créés, et qui sont passés à l’échelle”.
D’après lui (et c’est un avis que je partage), les lauréats de l’impact 40/120 sont la preuve qu’on peut concilier modèle à impact sociétal et performances économiques. Et même si ces entreprises n’ont pas été évaluées sur leurs levées de fonds, force est de constater qu’elles n’ont pas à rougir par rapport à celles du Next 40/120 sur ce point. “En cumulé, depuis leur création, les entreprises qui font partie de l’impact 40/120 ont levé 5,6 milliards d’euros, contre 11 milliards pour celles du Next 40/120. Et elles sont plus exemplaires sur d’autres points, comme la parité : 54% des lauréats ont au moins une femme dans leur équipe fondatrice - sans que cela ait été un critère” souligne Octave.
En somme, les entreprises à impact se portent bien, participent à relever les challenges de notre société, et le font avec de belles valeurs. Si je n’en étais pas témoin très souvent, je croirais presque qu’on se trouve dans un épisode des Bisounours ;)
On en pense quoi du côté des lauréats ?
Tu me connais, j'aime aller au plus près de l’action. Et en l’occurrence, j’ai voulu savoir ce qu'en pensent les lauréats, et plus particulièrement les équipes produits qui sont derrière !
J’ai interrogé les équipes de Sencrop, Carbo et Moka.care : trois boîtes que je connaissais déjà assez bien, et dont l’avis sur ce nouvel indice m’intéresse particulièrement.
Du côté de Sencrop, Quentin (Head of Impact) y voit évidemment une belle récompense du travail fournis par les équipes et un levier intéressant côté candidats et investisseurs. En revanche, il est lucide sur le fait que cela importe peu à leurs clients finaux (les agriculteurs) : “Que l’on fasse parti de ce genre d’indice, que l’on soit certifié Ecovadis ou B Corp n’a selon moi pas vraiment d’importance à leurs yeux, ou alors pour une minorité seulement. Ceux-ci veulent un produit qui fonctionne, qui leur rend service, un retour sur investissement et que l’on réponde à leurs besoins opérationnels, agronomiques et environnementaux.”
Chez Carbo, ils sont d’abord très fiers de faire partie d’une communauté d’acteurs engagés qui portent des valeurs communes. Anthony (Lead Product Manager) souligne que “dans un monde idéal, cet indice viendrait dépasser celui historique (CAC40, SBF120) qui avait uniquement une vision financière et passéiste du monde”. Comme chez Sencrop, l’équipe y voit aussi un “moyen de faire rayonner et porter (leur) modèle d'entreprise écologique et engagée plus largement, dans cet écosystème et au-delà”.
Et pour ce qui est de Moka.care, Eloïse (Head of Product) est extrêmement enthousiaste et trouve cela particulièrement pertinent de mettre en avant les entreprises “qui relèvent le triple défi de la performance économique, l’impact et le partage de la valeur. C’est plus complet, raisonné et pertinent que des approches limitées à un critère.”.
Des équipes produits face à un double challenge
Plongeons-nous maintenant dans le concret : quels sont les challenges rencontrés par les équipes produits dans ces boîtes pour faire cohabiter l’impact et le business ?
Chez Moka.care, le challenge se situe surtout du côté des clients, chez qui il faut faire prendre conscience de l’alignement entre le bien-être des salariés, et les enjeux business. “En prenant soin du mental de ses équipes on crée de l’impact sur le bien-être, mais aussi sur les métriques économiques des entreprises : performance des équipes, engagement avec l’entreprise, absentéisme…” L’équipe d’Eloïse a d’ailleurs sorti un calculateur qui permet de mesurer les pertes engendrées par le fait de ne pas agir sur ces aspects. Un super outil pour se rendre compte que le coût de “ne rien faire” est un enjeu pour l’entreprise.
Pour Kevin Guilbert, Head of Product chez Sencrop, ce n’est pas tant un sujet : “les deux cohabitent plutôt très bien au produit car nous construisons une plateforme qui aide les agriculteurs et leurs partenaires à prendre les bonnes décisions et à réduire leur impact environnemental. Concrètement, en utilisant Sencrop, ils optimisent leur irrigation, réduisent l’usage des produits phytosanitaires et améliorent leur quotidien (moins de trajet, plus d’anticipation…). Améliorer notre core-value produit revient donc à améliorer notre impact.”
Mais évidemment, étant donné la compétitivité de leur marché, des sujets business purs sont régulièrement priorisés mais dans un bon équilibre, avec “une squad produit sur quatre qui travaille sur des sujets business purs”.
Du côté de Carbo, Anthony souligne que leur mission repose sur “un équilibre subtil et crucial entre nos impératifs écologiques, sociaux et économiques”. Ils doivent à la fois “concilier leurs objectifs business avec leur mission, mais également prouver qu'il est possible d'être financièrement autonome tout en étant une entreprise écologique et socialement juste”. Ils suivent donc de très très près leur KPI, qu’ils soient “liés à (leur) mission ou à (leur) performance business, tout en intégrant des mesures internes telles que l'e-NPS et l'index d'égalité”. Complètement alignés avec les critères de l’Impact 40/120, donc !
Des produits impactants, donc plus responsables ?
On évoque souvent le fait qu’un produit à impact semble naturellement plus responsable, mais est-ce vrai ? Est-il plus simple pour ces entreprises avec une mission sociétale d’aborder et de prioriser des sujets de produit responsable (accessibilité, sobriété, privacy, …) ?
D’après Anthony, de Carbo, c’est en effet quelque chose qui “est facilité dans le cadre d’une entreprise à impact, mais de (son) point de vue, le vrai levier pour construire un produit responsable est la sensibilité et les connaissances des personnes qui participent à la conception de produits”. Un point pour lui, puisque je partage cette importance d’une équipe engagée (et éduquée) individuellement.
Chez Carbo, ils intégrent donc leur sensibilité écologique à tous les aspects de leur produit : ils ont par exemple “consacré des efforts importants pour optimiser notre infrastructure afin de réduire notre empreinte carbone”. D’ailleurs, leurs apps sont hébergées en France, par Scaleway. Ils travaillent aussi sur l’accessibilité de leur produit avec notamment “l'optimisation des contrastes, l'ajout d'un lecteur de texte pour les utilisateurs malvoyants, ainsi que des améliorations de la navigation au clavier pour garantir une expérience utilisateur inclusive et accessible à tous”.
Chez Sencrop, son de cloche un peu différent. D’après Kevin, “les sujets business/impact sont à effet presque immédiat et surtout mesurables pour nos clients alors ils sont naturellement en haut du backlog. La conséquence, c’est que les sujets de produit responsable sont moins prioritaires”. L’entreprise a la particularité de proposer un produit qui repose sur du hardware, et sur ce point en revanche l’investissement sur l’aspect responsable représente “naturellement beaucoup d’efforts car les enjeux sont beaucoup plus forts”.
Pour Eloïse, chez Moka.care, la priorité reste de “proposer la meilleure expérience possible à nos utilisateurs et de servir le développement de moka ; les sujets de produit responsable s’inscrivent dans ce cadre au même titre que les autres.” Les aspects liés à la privacy sont incontournables de par l’activité de l’entreprise, et l’accessibilité est de plus en plus intégrée dans leurs pratiques. La sobriété quant à elle est “un élément sur lequel ils n’ont pas mis l’accent. C’est un choix conscient”.
Avec ces trois exemples, difficile d’être représentative des 120 entreprises à impact réparties sur le territoire et ayant des activités hyper variées.
Pour autant, je constate un pragmatisme certain (on est loin du fameux monde des bisounours, mais ces boîtes se battent pour faire vivre leur mission, et y parviennent plutôt très bien malgré le contexte) et une tendance à plus d’impact qui est réellement enthousiasmante.
Après deux semaines à creuser le sujet, je continue donc de me réjouir de la sortie de cet Impact 40/120. Et d’attendre presque impatiemment la prochaine mouture 😉
Voilà pour cette édition, un peu spéciale (pas de ressource du moment ou de rencontre à partager, étant donnée sa longueur… je pense à ta productivité 😇).
J'espère que tu auras appris deux-trois trucs dans cette édition, et quelle te donnera envie d’aller voir ce qu’il se passe du côté de ces 120 entreprises à impact !
Helene
Product manager, tendance poil à gratter.
P.S. Si tu connais d'autres esprits curieux et engagés qui partagent cette quête d'impact sociétal positif, n'hésites pas à leur faire suivre ce message.
Merci Hélène pour cette newsletter. Je retiens cette note optimiste pour ces entreprises qui manient malgré tout le challenge business et impact. Le calculateur de Moka ;0...